- DAI WANGSHU
- DAI WANGSHUDai Wangshu est le fondateur de l’école poétique chinoise des « modernistes » ou « symbolistes », lancée par la revue des Modernistes (sous-titre français: Les Contemporains ). Parmi les jeunes écrivains chinois qui, après le « Mouvement du 4 mai », œuvrent à la naissance et à la reconnaissance d’une littérature de langue parlée, Dai fait partie des « gallicisants », de ceux qui se sont tournés vers la France pour y chercher leurs modèles. Traducteur passionné, il « importa » en Chine les plus connus des poètes français et espagnols de cette époque; poète sensible et patriote sincère, il laisse une œuvre réduite mais variée, marquée par les épreuves de sa vie personnelle et celles de son pays, qui cependant ne se départit jamais de la quête de formes nouvelles capables de faire école et de rendre à la poésie tout son pouvoir, à la Chine une poésie vivante. Son influence a été profonde sur les poètes plus jeunes en offrant les exemples d’une poésie d’expression moderne, aux rythmes nouveaux, aux thèmes originaux, où se fondent agréablement la tradition chinoise et des résonances occidentales.L’héritier des symbolistesNé le 5 octobre 1905 dans le Zhejiang, Dai Wangshu, de son vrai nom Meng Ou, commence à écrire, en 1922, des vers d’inspiration et de forme toutes classiques, mais, quelques années plus tard, alors qu’il apprend le français à l’université Aurore, de Shanghai (dirigée par des jésuites français), il abandonne soudainement les rythmes anciens pour une langue moderne simple et une forme prosaïque largement inspirées par ses lectures et ses traductions de poètes de langue française tels que Verhaeren et Francis Jammes. Il compose ainsi le recueil Ma Mémoire (titre emprunté à un des poèmes). Un autre poème de ce recueil, L’Allée sous la pluie , deviendra rapidement si célèbre que Dai sera souvent appelé depuis lors, pour l’éloge ou pour le blâme, « le poète de L’Allée sous la pluie »: ce poème, en effet, marque une rupture totale avec tout ce qu’on a jamais écrit en Chine jusqu’alors; en outre, malgré d’autres tentatives diverses, Dai restera dans l’ensemble fidèle à ces formes prosaïsées bien propres à éviter les réminiscences classiques et les clichés vieillots, qu’il considère comme des entraves à l’expression des sentiments modernes.Après des débuts difficiles en province, Dai et ses amis réussissent à fonder à Shanghai en 1932 la revue Moderne (Xiandai ) ou Les Contemporains (sous-titre français). Dai en est le poète principal, fondant ainsi l’école des Contemporains ou Modernistes. Leur but est de présenter « des écrivains modernes exprimant des sentiments modernes dans des formes modernes avec des mots modernes ». La revue présente des écrivains chinois modernes, dont le poète symboliste Li Jinfa, un « gallicisant » passé inaperçu et que Dai sort de l’ombre. On y trouve aussi des écrivains modernes de tous pays, mais en particulier des poètes: Apollinaire, Yeats, Azorín, Ayala, les imagistes Reverdy, Remy de Gourmont... Les Contemporains publient aussi L’Art poétique de Dai Wangshu, un art en seize points, dont l’inspiration lui est venue des symbolistes français à travers les théories de Remy de Gourmont et de Rubén Darío. Mais l’école de Dai, alors à son apogée, est aussi près de sa fin: deux ans après la fondation, par Luxun, de la Ligue des écrivains de gauche, suivie d’une répression qui envoya en prison ou à la mort ses militants les plus actifs, l’audience des Contemporains, étroitement liée au groupe d’écrivains « Troisième Catégorie », qui revendique le droit de n’être ni de gauche ni de droite, va se trouver rapidement en déclin. Dai Wangshu est en France, où l’ont poussé son amour de la poésie française et sa « nostalgie » d’un « bonheur d’outre-monde ». Il mène à Lyon une vie studieuse, plongé dans la lecture et la traduction de ses poètes, dont il ne sort que pour quelques visites à Paris ou ailleurs, à la recherche des poètes vivants, les symbolistes tardifs et les surréalistes. En novembre 1934, il repart pour la Chine après un bref séjour en Espagne, d’où il rapporte les « Chansons révolutionnaires » de Lorca (probablement le Romancero de la guerra civil ).Poèmes d’épreuves et d’espoirLa guerre qui s’annonce en Chine avec l’agression japonaise tranche le fil de l’œuvre: parti symboliste et moderniste occidentaliste, le poète revient patriote et engagé. Même divisés par de profondes divergences sur la ligne à suivre, les intellectuels concentrés à Shanghai se sentent tous mobilisés. Dai a pris un poste de rédacteur à Hong Kong tout en poursuivant parallèlement son travail de traduction. Il s’agit cette fois d’Aragon, d’Eluard, de Sartre et de Romain Rolland. Peu de temps pour la poésie. Les Contemporains ont publié en 1933 Brouillons de Wangshu , qui sont les poèmes de recherche formelle d’un chef d’école, même si cette recherche va dans le sens de la simplicité, mais de novembre 1934 à mai 1945 (Dai n’écrira plus rien de 1945 à sa mort) le poète n’écrit plus guère qu’une vingtaine de textes, qui constitueront le recueil Années d’épreuves . La langue et les thèmes de cette partie de l’œuvre tranchent sur le reste, en suivant d’ailleurs une évolution très nette, des poèmes écrits juste après le retour – poèmes de langue et de thèmes traditionnels – aux poèmes des années quarante, plaintes et espoirs du patriote, appels au courage écrits « sur le mur de la prison ». Parmi ces derniers, le plus beau est sans conteste De ma paume meurtrie , dont l’idée poétique – probablement inspirée par les Poèmes de la France malheureuse , tout contemporains (1940), de Supervielle (que Dai est en train de traduire) – garde, une fois transposée à la Chine, une profonde originalité: « De ma paume meurtrie / Je palpe cette immense terre / Ce coin n’est déjà plus que cendres / Et ce coin-là du sang et de la boue / Ce lac doit être mon pays natal... / Rizières du sud du fleuve... / Fleurs de litchis du sud des Passes... » Pour Dai il n’y a plus de bonheur personnel, plus d’espoir autre que la libération de la « Chine éternelle ». Prison, maladie, torture: même l’image radieuse du passé est insupportable ainsi ravagée par « l’ombre des diables » et les tempêtes du cœur. Et pourtant, en ultime message, le dégel: « Si jamais un jour mon printemps revient / Que le gel ancien se craquèle et fonde... »Dai est mort à Beijing (Pékin) le 20 février 1950. Il travaillait alors comme chef de la section de langue française au Bureau des informations internationales. C’est Ai Qing qui préfaça et publia en 1957 le Choix de poèmes de Wangshu composé des Brouillons et des Années d’épreuves . Longtemps ignorée de la critique chinoise officielle pour son occidentalisme trop patent, l’œuvre de Dai reçoit aujourd’hui justice. On peut considérer que le poète Ai Qing appartient au courant qu’il a lancé, que son œuvre a poursuivi et réalisé ce qui fut l’idéal de Dai et de son contemporain Wen Yiduo: une poésie chinoise vivante, d’expression moderne.
Encyclopédie Universelle. 2012.